Qui ai-je été? Qui suis-je aujourd’hui? Qu’est-ce que je deviens au moment précis où je me lance dans cet exercice de me présenter à vous ? En premier, j’aimerais rendre hommage à mes héritages multiples. Comme écrit bellement Nathalie Plaat dans Le Devoir du lundi 23 septembre 2024 (« Enfants du siècle »), je suis fils, oui, de la grande famille Lavoie de Saint-Donat, et des Beaulieu (beaux lieux) sur les rives du lac St-François. Mais aussi, plus largement, fils de Pierre Bourgault et de Simonne Monet-Chartrand, ces grands personnages de notre belle province, notre beau pays. J’ai étudié au CEGEP Ahuntsic à Montréal en sciences humaines (profil psychologie) et je n’ai jamais cessé ensuite ma relation d’amour avec la relation d’aide et les écrits de Freud. J’ai été l’étudiant heureux de feu Daniel Thomas en travail social à Rouyn-Noranda, dans les locaux tout neufs, au milieu des années 1990. À la suite de sept mois au Maghreb avec feu Jeunesse Canada Monde, j’ai étudié le journalisme (mineure), la philosophie (majeure) à l’Université Laval. Par la suite, j’ai eu la chance d’être dirigé par Jean-Pierre Deslauriers (UQO) pour mon mémoire de maîtrise déposé en 2009. J’ai été intervenant socio-judiciaire pendant dix ans à Mont-Laurier pour le C.R.C. Curé-Labelle. J’enseigne comme chargé de cours à l’UQAT depuis 2017, et j’ai été doctorant en travail social à l’Université d’Ottawa de 2018 à 2024. J’ai travaillé comme coordonnateur d’un projet de recherche pendant cette période qui était dirigé par Diane Dubeau (UQO) concernant les pères et leurs perceptions de leur séparation conjugale.

Pourquoi avez-vous choisi d’enseigner à l’Université ?
Étudiant à l’Université Laval, je « squattais » les locaux vides et j’imaginais la classe pleine et je discourais. J’ai aussi souvent imaginé que je chantais devant une foule. Enseigner, c’est la passion professionnelle de ma vie, le rêve réalisé, et qui se renouvelle à chaque occasion. Mon mandat se renouvelle à la seule condition que mes groupes me confirment que je suis un maillon important dans leur cheminement vers leur profession rêvée. Rien n’est plus important pour moi que ce rôle de « grand frère », et à l’âge que j’ai atteint, maintenant, de « bon père ». C’est mon positionnement profond, mon engagement !
Je peux travailler des centaines d’heures quand j’enseigne un seul cours. Je suis là, pour eux, je suis passionné ! Elles – ils me le rendent bien !
Quels sont vos principaux projets en dehors de vos activités d’enseignement ?
Je suis père de sept enfants en garde partagée ! Donc, vous imaginez que je gère une petite PME ! C’est le rôle de ma vie ! Et j’en suis heureux. Je suis formateur et accompagnateur pour Albatros à Mont-Laurier (maladie grave et fin de vie) depuis plus de dix ans. Depuis la mort de mon fils Émile en 1999, je suis très sensible aux questions de la maladie et de la mort traumatique, et cette implication sociale est cruciale dans ma vie. Aussi, avec mon amoureuse, nous avons démarré, en 2024, une petite entreprise que nous voulons ancrée dans la communauté, avec comme mission d’encourager l’agriculture de proximité. Cette ferme apicole se nomme « Les miels de la Chapelle ».
Quels sont vos implications à l’Université et au syndicat ?
Depuis 2023, je suis représentant des chargé.es de cours à l’École de travail social. Je suis très heureux de cette implication pour plusieurs raisons. J’ai vécu une situation d’injustice dans mon milieu de travail, et j’avais deux options à ce moment : changer de métier et de milieu de travail ou m’impliquer auprès du syndicat afin de faire changer les choses. J’ai choisi la deuxième option. Je suis heureux de dire que l’humanisation du travail, peu importe l’École, est un enjeu crucial et persistant dans un contexte où il existe des enjeux de pouvoir entre les professeur.es et les chargé.es de cours. Aujourd’hui, je suis fier d’insister dans les rencontres de Conseil de module pour que l’on souligne l’excellence des enseignements, qu’on encourage nos pairs professionnel.les de l’enseignement, et ce, peu importe leur titre ! J’ai pour mission aussi de démontrer mettre à l’écart les chargé.es de cours pour la recherche ou la supervision des personnes inscrites à la maîtrise est un non-sens dans une maison du savoir ! Parfois, sans s’en rendre compte, dans les édifices du pouvoir, on oublie d’aller lire en quoi consiste notre mission première. Nos vrais boss, ce sont nos étudiant.es ! Il faut, comme lors d’une rupture d’union avec enfants, penser le plus souvent au bien-être de nos enfants ! À l’université, il faut penser nos actions avec comme étoile le bien-être des étudiant.es. C’est mon combat de tout instant ! Et pour y arriver, il faut, entre autres, que les chargé.es de cours soient heureux.ses, soutenu.es, reconnu.es ! Ces temps-ci, je suis outré devant la place qu’on accorde aux chargé.es de cours. Saviez-vous qu’à l’Université de Montréal, sur les sites, on présente les chargé.es de cours d’une École ou Département au même titre que les professeur.es ? Pas à l’UQAT. C’est navrant !
Quels sont votre domaine et votre expertise de recherche ?
Je tourne la page présentement sur une période de six ans (2018-2024) où j’ai été doctorant à l’Université d’Ottawa en travail social. Je suis fier d’avoir déposé ma thèse. Deux lecteur.trices externes sur quatre ont jugé que le travail nécessitait des corrections importantes avant la défense de la thèse. J’ai pris la décision de ne pas poursuivre mon cheminement. Mon expertise de recherche depuis la maîtrise a toujours été la réalité et le parcours de vie des hommes en lien avec les services sociaux. J’ai fait une collecte de données importantes auprès de 14 pères (42 entrevues), et ce, pendant trois ans (2019-2020-2021). Écouter, accueillir la réalité de ces pères séparés a été éprouvant pour moi, comme père qui a aussi vécu une séparation conjugale, mais cela m’a aussi apporté énormément. J’en suis venu à la conclusion, appuyé par la parole des pères, qu’une « politique des yeux fermés » existe quant à la réalité de ces pères séparés, en particulier quand ils ont la garde complète de leurs enfants, et que les services sociaux sont à la remorque de la transition sociologique présente en regard des réalités familiales contemporaines. Certain.es lecteur.trices externes m’ont mentionné le ton militant dans ma thèse. Si vous aviez entendu les horreurs que j’ai entendues de la bouche des pères que j’ai rencontrés, vous seriez aussi, je le crois, indigné. J’ai aussi analysé et écouté plus de 20 entrevues supplémentaires en tant que coordonnateur du projet de recherche, et les partages donnent la chair de poule par moment, et aussi soulèvent des réactions d’indignation. Je suis heureux d’avoir participé à cette recherche longitudinale. Le plus beau cadeau est la reconnaissance des pères d’avoir obtenu cette écoute. Mais aujourd’hui, je prends du recul du monde de la recherche, car je suis épuisé !
Avez-vous une passion pour laquelle vous ne comptez pas les heures ?
J’ai découvert l’apiculture il y a plusieurs années par l’entremise d’ami.es. La question m’a toujours fasciné. L’art des abeilles me nourrit d’un sentiment de paisibilité et d’espérance. Je vous explique : souvent je peux rester plusieurs minutes, couché devant une ruche, à observer leurs mouvements, leurs comportements, leur travail. J’ai appris en observant que les abeilles sont très bonnes en soins de fin de vie. Un lieu de fin de vie et un cimetière d’abeilles existent près de la ruche. Vous pouvez alors observer la sensibilité des abeilles. Les abeilles malades, les abeilles mortes sont transportées par une abeille « soignante ». Des abeilles peuvent passer beaucoup de temps au chevet d’une butineuse qui a donné les 40 journées de sa vie (les abeilles vivent plus longtemps l’hiver) à transporter pollens et nectars pour le bien commun de la ruche. J’aime observer le matriarcat qu’est une ruche, une société qui fonctionne pour la Reine. C’est d’une immense beauté et je suis privilégié de pouvoir gouter à leur miel, et enfin, surtout, d’être un étudiant des abeilles. Mon amoureuse et moi, nous nous considérons des « happy-culteur.trice ».
Quelle est votre saison préférée ?
J’ai un faible pour l’automne. Le son des grillons dans le rucher, les incursions de l’été en fin de saison chaude, le fait qu’il y a moins de mouches noires, de maringouins et de mouches à chevreuil, c’est la perfection ! Mais je dois avouer que je vis aussi lors de cette période, en grand passionné et émotif que je suis, un deuil important. Je suis parfois déprimé pendant quelques semaines tout juste avant l’hiver. Je me sens comme un marathonien qui arrive à la fin de sa course, de sa saison haute en couleurs et mouvements, et qui doit accepter un changement de rythme violent ! Sans doute, un jour, je serai comme Marino Tremblay, le poète qui écrit dans le Devoir, et mes hivers se vivront dans les Caraïbes ! L’avenir le dira !
Qu’est-ce qui vous met en colère ?
J’ose terminer en forme d’invitation, comme un cri lancé à mes collègues universitaires, peu importe leur statut. Nous sommes une équipe. Je nous invite à ne tolérer aucune forme de xénophobie. La première étape est de reconnaître que c’est présent dans l’humain et c’est normal d’avoir des réactions de peur devant la différence ! Ensuite, comme je l’apprends de plus en plus profondément avec mes groupes en travail social, il faut dénoncer l’intolérance, et oser parler de la question intersexe, de la question transgenre, de la question des racismes, de la misogynie, et aussi un grand oublié, la misandrie qui est plus présente que l’on peut croire. Également, j’ai travaillé récemment avec Jean-Martin Deslauriers (Université d’Ottawa) et d’autres personnes pour offrir un cours sur la question spécifique du racisme anti-noir. En écrivant ceci, j’écoute, comme un allié, « You are the sunshine of my life » de Stevie Wonder. Pour moi, l’époque actuelle a soif de réconciliation. Donnons-nous la main plutôt que le mépris. Osons l’amour. Louise Latraverse, dans son one-woman-show, nous rappelle ce qui est le plus important dans la vie : « L’amour crisse ». Ne l’oublions pas ! Amen !